Libye : neuf ans de guerre pour rien

"Je ne veux pas dans six mois, un an, deux ans, avoir à constater que la Libye est dans la situation de la Syrie d’aujourd’hui", déclarait le président Emmanuel Macron le 22 juin 2020. Pourtant, force est de constater que la Libye semble avoir remplacé la Syrie comme nouveau terrain d'affrontement des grandes puissances. Retour sur neuf ans de guerre qui ont transformé l'un des pays les plus riches d'Afrique en véritable enfer sur Terre.

En 2011, une insurrection armée soutenue par des bombardements français, anglais et américains renverse le chef d'Etat libyen Mouammar Kadhafi, après 42 ans de règne tyrannique.


Le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, en 2010

La Libye connaît alors les premières élections libres de son histoire, qui amènent au pouvoir des islamistes. Les gigantesques arsenaux de Kadhafi sont pillés par les anciens insurgés. Les armes se vendent sur les marchés et finissent par inonder l'Afrique, conduisant à une prolifération de groupes terroristes sur tout le continent (Mali, Nigéria, République démocratique du Congo).

Très vite, des guerres de territoires éclatent entre milices libyennes rivales. Ce chaos favorise l'ascension du maréchal Khalifa Haftar. Ce militaire participe au coup d'état de 1969 qui renverse la monarchie du roi Idris Ier et favorise l'arrivée au pouvoir de Kadhafi. Il combat Israël lors de la Guerre du Kippour, puis le Tchad lors de la guerre de 1978-1987. Il fait ensuite défection et s'exile aux Etats-Unis, près de Langley, en Virginie. C'est à cette période qu'il se rapproche de la CIA. Il participe alors à plusieurs opérations de déstabilisation du régime de Kadhafi, sans succès. Le renversement du guide en 2011 lui permet de retrouver son pays natal, où il se pose en rempart laïc face à l'expansion du djihadisme.


Le maréchal Khalifa Haftar en 2019

Cette posture le conduit à affronter militairement le gouvernement de Tripoli, reconnu par l'ONU, influencé par les Frères musulmans et incapable de maintenir l'ordre sur le sol libyen. Les troupes de Haftar rassemblent une coalition hétéroclite d'anciens kadhafistes et de libéraux, ayant pour point commun le rejet de l'islamisme. Haftar se rend maître de Tobrouk, de Benghazi et de Syrte, la ville natale de Kadhafi. 

Il est soutenu dans son avancée par des frappes aériennes menées par l'Egypte (dictature militaire dirigée par un autre maréchal : Abdel Fattah al-Sissi) et les Emirats Arabes Unis. Haftar peut aussi compter sur le soutien diplomatique de la France, de l'Arabie saoudite et de la Syrie. La Russie intervient également militairement en Libye afin de soutenir Haftar, sous la forme de 2000 mercenaires du Groupe Wagner (société militaire privée russe également présente en Syrie, en Ukraine, au Venezuela, en Centrafrique et au Mali).


Des mercenaires du groupe Wagner dans la région de Donetsk (Ukraine) en 2014

Le gouvernement, lui, est soutenu par l'ONU, l'Italie, le Qatar et la Turquie. Le président turc Recep Tayyip Erdogan envoie en effet 4700 mercenaires syriens combattre l'armée du maréchal Haftar. Erdogan fournit également à Tripoli des armes et des technologies de pointe tel que des radars, des brouilleurs et même des drones.

Ce soutien militaire de la Turquie conduit à une crise diplomatique ouverte avec la France. Le 10 juin, un navire français voguant en mer Méditerranée est pris pour cible à plusieurs reprises par le radar d'un navire turc. Tout deux membres de l'OTAN, il semblerait que la France et la Turquie soient devenues des adversaires, voire des ennemis. Dernièrement, le maréchal égyptien Al-Sissi a menacé d'envoyer des troupes au sol en Libye, ce que le gouvernement de Tripoli a qualifié de "déclaration de guerre". 

La situation ne semble pas prêt de s'apaiser, et la Libye semble être devenue le théâtre d'une forme de Troisième guerre mondiale par procuration. On pourrait paraphraser l'archevêque salvadorien Arturo Rivera y Damas, et affirmer que "Les puissances étrangères, dans leur désir d'hégémonie mondiale, fournissent les armes. La Libye fournit les morts". Depuis la chute de Mouammar Kadhafi en 2011, la guerre civile libyenne a causé la mort de 14 500 personnes, dont 2400 civils.

Lire aussi : Tripoli, le cycle de la violence
L'offensive d'Idleb aura-t-elle lieu ?
La fabrication de l'ennemi
Trump et l'Iran, la stratégie du fou

Lucien Petit-Felici

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