Covid-19 : Une épidémie de pauvreté

« Le coronavirus m’a détruit ». Maxime a 36 ans et n’aurait jamais pensé se retrouver un jour à la rue. Cet homme affirme avoir « tout connu, j’ai bossé toute ma vie. J’ai travaillé dans un hôtel 5 étoiles et aujourd’hui je fais la manche. J’ai tout perdu du jour au lendemain ».


Avant le confinement, Maxime était auto-entrepreneur, un statut souvent considéré comme particulièrement fragile et précaire. Croulant sous les dettes, son entreprise a fait faillite, dans un contexte de pandémie et d’effondrement de l’économie française.

 

Depuis 3 mois, il dort sur un matelas, dans une rue du 9e arrondissement de Paris. Autour de lui, des vêtements de marques dont « une veste à 200 euros ». « Je ne l’aurais jamais acheté si j’avais su que je me retrouverais un jour à la rue », se lamente-t-il. Maxime me montre son porte-monnaie en cuir noir contenant plusieurs cartes de crédits, symbole d’une vie antérieure désormais révolue.

 

Devenu sans-domicile fixe, Maxime a basculé dans la drogue. Il a développé un abcès à la gorge et ne peut plus se nourrir que de yaourts. « J’ai perdu 13 kilos en trois mois. J’étais gros, je suis devenu maigre », ironise-t-il.

 

Protestant évangélique, Maxime tente de trouver du réconfort dans la religion. Sur son matelas, je distingue un exemplaire du Nouveau testament et autour de son cou, une imposante croix en métal. « Le Christ aussi était maigre, et lui aussi a souffert », déclare-t-il.

 

Mais la religion n’est qu’un réconfort relatif lorsque on a tout perdu. « Je ne pardonnerai jamais au gouvernement d’avoir ordonné le confinement et détruit l’économie », enrage-t-il.


Depuis janvier 2020, la pandémie de covid-19 a tué plus de 97 000 personnes en France. Mais au fur et à mesure que l’épidémie progresse, un autre bilan terrible se dessine de jour en jour, venant s’ajouter à celui des décès. Celui de la pauvreté.

En effet, depuis le début de la crise, plus d’un million de Françaises et de Français ont vu leurs revenus chuter sous le seuil de pauvreté. En France, ce seuil se situe autour de 1063 euros par mois, et concernait déjà près de 14,8% des ménages en 2018, selon l’INSEE. Selon le rapport sur la pauvreté en France 2020-2021, 5,3 millions de personnes vivent avec moins de 885 euros par mois en France. Autre indicateur alarmant, le nombre de bénéficiaires d’aides alimentaires a progressé de 30% en un an, selon les Restos du Cœur. 

Ces nouveaux pauvres appartiennent aux catégories les plus vulnérables : étudiants, chômeurs, intérimaires, artisans, mais aussi chauffeurs de VTC se retrouvant au chômage du jour au lendemain. Et la situation ne devrait pas s’arranger, la Banque de France prévoyant un taux de chômage de 11% dès le premier semestre 2021.  

Dans son rapport 2020 sur la pauvreté, la Banque mondiale tire elle aussi la sonnette d’alarme. Durant l’année 2020-2021, ce sont près de 150 millions de personnes à travers le monde qui ont basculé dans l’extrême pauvreté.

Mais qui sont ces nouveaux pauvres ? Quels sont leurs profils et leurs difficultés ? Qui leur vient en aide et par quels moyens ?

« S’il y a une population qui subit de plein fouet la crise du covid, ce sont les SDF », m’explique Iris Fardela, présidente de l’association Pimp my Life qu’elle a créée en 2015.

Iris et son association réalisent des maraudes le dimanche, principalement près de la Gare du Nord, mais aussi parfois à Calais. Pimp my Life accompagne principalement des personnes sans-abris et des migrants. 

Depuis mars 2020, Iris a « clairement constaté une augmentation du nombre de personnes en difficulté ». Selon la Fondation Abbé Pierre, le nombre de sans-domiciles fixes en France est passé de 250 000 à 300 000 entre 2019 et 2020. « Pour ne rien arranger, beaucoup de camps de migrants ont été démantelés à cause du virus. On croise donc de plus en plus de personnes dans la rue », ajoute-t-elle. 

Les profils des sans-domiciles fixes ont également tendance à se diversifier. « On a des habitués que l’on voit depuis plusieurs années, mais aussi beaucoup de nouvelles personnes », explique-t-elle. « Des étudiants, et de plus en plus de consommateurs de drogues ».

En période de pandémie, Iris et son association ont été contraints de s’adapter. « Pendant le premier confinement, on a effectué beaucoup plus de maraudes parce qu’on ne travaillait pas. En plus de la nourriture, on distribue aux gens des masques et du gel. On essaye de leur donner accès à une hygiène basique, d’autant plus que la pandémie a entraîné la fermeture des douches et bains publics, qui sont les seuls moyens pour les SDF de se laver ». 

Outre l’accès à l’hygiène, le confinement a privé les SDF de l’accès aux passants, aggravant ainsi leur isolement et leur précarité. « Durant le premier confinement, les SDF se sont retrouvés seuls dans une ville déserte. Du coup, impossible pour eux de faire la manche, ce qui les a privés de leur unique et maigre source de revenu. On était les seules personnes qu’ils croisaient. Mais ils ont tenu bon. C’est ça être SDF. L’art de la débrouille. L’art de la survie ». 

Iris précise que son association ne reçoit aucune aide publique. « On lance des cagnottes participatives et des appels aux dons. La nourriture est fournie par des bénévoles. Résultat, on manque de produits d’hygiènes et de denrées non-périssables, comme des pâtes ou des conserves ». 

Iris Fardela est inquiète pour l’avenir. « Malheureusement, la situation n’est pas près de s’arranger », déplore-t-elle. « Les SDF ont l’impression d’être les grands oubliés de l’Etat. Ils ont le sentiment d’être laissés pour compte, et qu’on les abandonne à leur sort ».

Avec les Sans-domiciles fixes, les étudiants font également figure de grands perdants de la crise sanitaire. Léonard, 23 ans, est étudiant en comptabilité à Sèvres, dans les Hauts-de-Seine. Pour lui aussi, le coronavirus a été un véritable basculement.

« C’est devenu très compliqué à partir de mars 2020. Avant cela, j’avais un travail dans une boulangerie le week-end qui me permettait de vivre correctement, de payer mes études et mon loyer. A cause du confinement, la boulangerie a dû fermer et depuis, ils n’embauchent plus personne à temps partiel, donc c’est devenu très difficile », me dit-il.

Depuis, Léonard a du mal à se nourrir. « Je suis obligé de faire mes courses à Episol et de ne prendre que le strict minimum. Je me nourris exclusivement de pâtes et de riz. Je n'ai pas trop de mal pour payer mon loyer parce que je touche des APL, mais elles sont insuffisantes. Malheureusement, je ne reçois aucune aide financière de mes parents. Je paye mes études avec les économies que j’avais fait grâce à mon travail en boulangerie. J’essaye de chercher un job étudiant pour cet été, mais c’est très compliqué. Malgré ça, je vais être obligé d’en trouver un puisque j’arrive à la limite des fonds que j’avais économisé. Je risque d’être ruiné alors que je ne dépense rien d’extravagant, simplement pour la nourriture, le logement et l’électricité ».

Léonard habite une chambre de bonne dans le 18e arrondissement de Paris. Il paye un loyer de 520 euros par mois pour 15 mètres carrés. Dans sa salle de bain, une fenêtre est mal isolée et laisse passer la pluie et les courants d’air. Le mur paraît gonflé et menace presque de s’écrouler à cause de la moisissure. Ce problème était déjà présent lorsque Léonard a emménagé. Il a tenté plusieurs fois de réclamer des travaux à son propriétaire, mais celui-ci semble faire la sourde oreille.

Alice, 22 ans, est étudiante en lettres à Paris. Depuis le premier confinement, elle fait face à « de vraies difficultés financières », mais aussi dans sa « vie scolaire et personnelle ». 

« Depuis mars dernier, j’ai beaucoup moins de moyens pour vivre. Avec le deuxième confinement, c’est devenu très compliqué. Je me nourris le plus souvent au Crous (restaurant universitaire) qui fait des repas à 1 euro. Je suis aussi obligée de demander de l’argent à mes parents. J’ai droit aux APL, mais qui sont beaucoup trop faibles. Ça devient vraiment difficile de garder le cap au quotidien », déplore-t-elle.

A ces difficultés économiques s’ajoute une véritable souffrance psychologique. « Moralement, c’est aussi devenu beaucoup plus compliqué. J’ai eu l’impression d’avoir été coupée de tous liens sociaux du jour au lendemain », explique-t-elle.

Pour faire face à ces difficultés financières, les étudiants sont parfois contraints de faire leurs courses dans des épiceries spécialisées. C’est le cas à Episol, une épicerie solidaire située dans le Quartier latin, le quartier étudiant de Paris. Episol effectue des collectes alimentaires, et revend les aliments à des prix cassés (environ 20% du prix de vente ordinaire). Ici, les bénévoles ne chôment pas. Loane, 23 ans, est étudiant en urbanisme à La Sorbonne. C’est lui, le responsable des bénévoles à Episol.

L’épicerie a ouvert ses portes le 2 février 2021, pendant la deuxième vague de la pandémie. Avant cela, Loane était déjà bénévole auprès de plusieurs associations, et a pu constater « une aggravation de la précarité étudiante depuis le premier confinement ». « D’un seul coup, les files d’attentes devant les banques alimentaires sont devenues beaucoup plus longues », déplore-t-il.

A Episol, il constate que « les étudiants ont vu leurs conditions de vie particulièrement dégradées par la pandémie ». « Les petits boulots sont devenus trop rares, voire quasiment introuvables. Du coup, les étudiants se retrouvent avec des loyers et des frais scolaires à payer. On parle de gens qui doivent vivre avec 6 euros par jour, parfois 3 euros par jour », se désole-t-il. « On a aussi de plus en plus de familles précaires qui viennent, notamment des familles monoparentales pour qui se nourrir dans des supermarchés ordinaires est devenu trop coûteux. On permet à ces gens de tenir le coup ».

L’épicerie Episol, elle, tient le coup grâce aux aides publiques et à des dons de particuliers. « La mairie du 5earrondissement nous fournit un local, sans nous faire payer de loyer. Nous recevons également des aides de la Mairie de Paris et de la région Ile-de-France. Enfin, nous recevons des dons de particuliers et d’entreprises ». 

Loane a été surpris par le véritable élan de solidarité de la population parisienne. « Nous avons été très étonnés de la grande générosité des habitants du 5arrondissement. Des gens viennent nous voir, spontanément, pour nous demander ce dont on a besoin, et reviennent les bras chargés de produits. Les gens donnent beaucoup. Pour la première collecte alimentaire, on a reçu plus de 15 000 euros de dons et plusieurs tonnes de produits. Des produits alimentaires bien sûr, mais on insiste aussi beaucoup sur les produits d’hygiène périodique comme les brosses à dent, les serviettes hygiéniques ou les tampons, qui peuvent malheureusement être assez onéreux pour les étudiants. L’Oréal nous fait par exemple des dons de produits d’hygiène ».

Face à la crise économique que connaît la France actuellement, les associations sont en première ligne. Gabriel, responsable administratif des Restos du Cœur dans le 13e arrondissement de Paris, le confirme. Depuis le premier confinement en mars 2020, il constate que « beaucoup plus de personnes ont besoin d’aides alimentaires ». Là encore, les catégories vulnérables sont les plus touchées. Gabriel déplore « une hausse importante du nombre d’étudiant en situation de détresse alimentaire, ce qui a poussé les Restos du Cœur à mettre en place de nouveaux centres ». 

Parmi les nouveaux bénéficiaires de ces aides, Gabriel observe « beaucoup de nouveaux visages, des personnes qu’on ne voyait pas avant ». Parmi elles, « de nombreuses familles aux fins de mois difficiles ». 

Il explique que « beaucoup de ces gens nous disent que c’est provisoire. Ils vivent une forme de déclassement et ont du mal à accepter leur situation.  C’est comme s’ils avaient honte ». 

Gabriel observe néanmoins « un grand élan de solidarité dans la population ». « On a recruté beaucoup de nouveaux bénévoles, donc nos équipes sont au complet. Les gens veulent aider, c’est évident ». 

Il se montre ainsi optimiste pour l’avenir. « On a assez de réserves pour continuer au même rythme. Certes, on doit aider plus de gens qu’à la normale, mais s’il y a plus de monde, on s’adaptera. Quitte à créer de nouveaux centres ».

     Une "file de la faim" devant une banque alimentaire en Seine-Saint-Denis


Mais comment les pouvoirs publics comptent-ils remédier à cette situation ? Nous avons interrogé Olivier Rocquain, responsable du service politique de la Mairie de Paris. Olivier Rocquain accompagne les politiques publiques dans les quartiers dits « difficiles », soit particulièrement fragiles et précaires. 

Il précise que ces quartiers représentent 17% de la population parisienne. Olivier m’explique que pour les habitants de ces quartiers, « c’est surtout la première période de confinement qui a été difficile ». En effet, l’annonce du premier confinement a été selon lui « très brutale et soudaine ». 

Depuis mars 2020, Olivier a constaté « un phénomène très clair d’appauvrissement » de la population parisienne. Symptômes de cet appauvrissement, « les demandes d’aides alimentaires ont fortement augmenté » et « les impayés de loyer ont explosé ». Depuis lors, « ceux qui ont basculé dans la pauvreté n’en sont pas sorti », déplore-t-il. 

Selon lui, le phénomène « concerne surtout les catégories de personnes les plus vulnérables », soit « les intérimaires, les étudiants », ou encore « les travailleurs au noir ». Les quartiers populaires sont les plus touchés.  Parmi eux, « le quartier de la Goutte d’or et les quartiers de Portes ». Cependant, l’appauvrissement touche également « certains quartiers plus bourgeois, comme Belleville, ou même le 17e arrondissement ». 

Pour remédier à ce phénomène, « la Ville de Paris travaille beaucoup avec le tissu associatif, qui est un vrai atout ». « La Mairie a également pris des mesures concrètes pour les quartiers difficiles, telles que « la baisse des loyers, la mise en place de subventions exceptionnelles, des aides financières ciblées pour les individus et les familles, ainsi qu’une dotation en outils numériques pour certains jeunes, afin d’assurer un suivi pédagogique lors de la fermeture des écoles ». 

De fait, les loyers ont baissé de 1,5% à Paris depuis 2020, une baisse cependant imputable à l’encadrement des loyers dans la capitale décidée en 2019.

Olivier Rocquain salue les mesures économiques prises par l’Etat lors du confinement, notamment « les mécanismes relatifs au chômage technique et au chômage partiel ». Selon lui, ces dispositifs sont « plutôt importants, mais pas à la hauteur des besoins réels des personnes ».

Département le plus pauvre de France métropolitaine, la Seine Saint Denis compte parmi les zones les plus impactées par l’épidémie.

Cette surmortalité s’explique par « la pauvreté du département », m’explique Clémentine Blandau, responsable de l’emploi et de la cohésion au département public Est Ensemble. « C’est l’un des plus pauvres de France, où 30% de la population vit sous le seuil de pauvreté », déplore-t-elle. Cette pauvreté expose la population à « beaucoup de co-morbidité et à des risques sanitaires supplémentaires tels que l’obésité ou le diabète ». 

A ces conséquences sanitaires terribles viennent s’ajouter une dégradation des conditions économiques. Clémentine Blaudau a observé « le basculement d’un grand nombre d’habitants dans la précarité ». « Les demandes d’allocations et d’aides alimentaires ont explosé et ça risque de se renforcer dans les mois qui viennent », ajoute-t-elle. 

Le nombre de demandeurs du RSA a notamment fortement augmenté. En conséquence, le département craint de ne bientôt plus pouvoir payer cette aide sociale. « Compte tenu de l’ampleur de la précarité en Seine-Saint Denis, la charge financière du RSA est devenue trop importante pour le département. A tel point que c’est l’Etat qui va bientôt la prendre en charge ».


La Seine-Saint-Denis a vu en effet le nombre de bénéficiaires du RSA passer de 85 000 à 90 000 durant l’année 2020. Dans un communiqué de presse du 8 novembre 2020, le département exprime son inquiétude face à une situation « particulièrement critique et inquiétante » et estime « un coût supplémentaire de plus de 30 millions d’euros en 2020 pour le département, qui, conjugué aux pertes de recettes, le place dans une impasse budgétaire ». 

 

Dans un courrier adressé aux élus du département, le Premier ministre Jean Castex a donc annoncé que l’Etat prendrait en charge le versement du RSA en Seine-Saint-Denis à partir du 1er janvier 2022. Une mesure exceptionnelle pour une situation exceptionnelle. La France n’avait en effet pas connu un tel effondrement économique depuis la Seconde guerre mondiale.


Lucien Petit-Felici

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