Les bébés volés de Franco

Qui rendra leur identité aux bébés volés du franquisme ? En Espagne, les plaidoiries se sont finalement achevées dans le procès historique qui passionne le pays, confronté aux fantômes de son passé. Ce procès oppose Eduardo Vela, un ancien obstétricien de 85 ans à Inès Madrigal, 49 ans.

L'accusé est soupçonné d'avoir subtilisé Mme Madrigal à sa mère biologique en 1969, alors qu'elle était bébé, afin de la confier à une famille ne pouvant pas avoir d'enfants.

 
Le docteur Eduardo Vela à son procès

Cette pratique était monnaie courante sous la dictature du général Francisco Franco (1939-1975), et consistait à placer des nouveau-nés dans des familles aisées, partisans de l'idéologie "nationale-catholique" du régime franquiste. Les parents victimes de ces vols étaient souvent des opposants à Franco, prisonniers politiques ou condamnés à mort, proches du communisme et de la gauche radicale.

Comme sous la dictature des colonels en Grèce (1967-1974), le but des franquistes étaient d'éradiquer toute trace du communisme dans la société, cette idéologie étant assimilée à une déviance, voire une maladie mentale.

L'idée, dans l'optique  franquiste, était donc de soustraire les nouveau-nés à toute "contamination idéologique" en les plaçant dans un milieu politiquement "sain". A partir des années 50, les vols de bébés visèrent également les enfants nés hors-mariage, les familles défavorisées ou trop nombreuses. L'Eglise catholique espagnole est accusée d'avoir participé à ce trafic, qui aurait concerné entre 130 000 et 150 000 enfants. Plus sordide encore, les vols de bébés espagnols auraient continué jusque dans les années 1980, les coupables ayant troqué leurs motivations politiques pour des considérations financières.

Des vols de bébés ont également été commis sous la dictature militaire argentine (1976-1983) dirigée par Jorge Rafael Videla.

Depuis la fin du régime militaire espagnol, plus de 2000 plaintes furent déposées pour des faits similaires, mais aucune n'a jamais abouti. Une condamnation d'Eduardo Vela consisterait donc une première.

Le procès de Vela est révélateur du climat espagnol depuis la prise de fonction du Premier ministre social-démocrate Pedro Sanchez. Le nouveau chef du gouvernement espagnol entend briser l'omerta qui règne autour du franquisme. Une loi de 1977 a en effet amnistié toute personne ayant commis des actes criminels sous le régime du caudillo. A sa mort en 1975, le dictateur nationaliste a même été enterré dans l'immense mausolée de la Valle de los caidos ("Vallée de ceux qui sont tombés", en espagnol). Ce mémorial, qui commémore également les combattants nationalistes et républicains de la guerre civile espagnole (1936-1939), accueille près de 450 000 visiteurs par an, ce qui en fait l'un des monuments les plus visités du pays.

Me Sanchez a récemment exprimé le souhait d'exhumer la dépouille du generalisimo, considérant sa présence dans le mausolée comme une apologie du fascisme. Cette décision divise profondément les espagnols. Selon un sondage paru dans El mundo, 40,9% d'entre eux soutiendraient l'exhumation, 38,5% la critiqueraient et 20,6% n'auraient pas d'opinion définitive sur le sujet.  Pedro Sanchez entend également revenir sur la loi d'amnistie par la création d'une commission d'enquête sur les crimes du régime franquiste. De telles commissions d'enquête avaient permis de condamner les responsables des dictatures militaires d'extrême-droite d'Amérique du Sud. Outre les combattants républicains tombés lors de la guerre civile, plus de 30 000 personnes auraient été tuées sous le  régime de Franco.

Lucien Petit-Felici
Publié sur Le Parisien.fr

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