Taux négatifs : les banques sont-elles devenues folles ?
Les banques seraient-elles en train de jouer aux apprentis sorciers ? La FED, la réserve fédérale des Etats-Unis, vient récemment d'injecter plusieurs centaines de milliards de dollars dans l'économie pour palier à un manque de liquidités, et se refuse toujours à relever ses taux d'intérêts.
Dans l'Union européenne, il semblerait également que les banques soient en train de jouer avec le feu. La Banque Centrale Européenne (BCE) mène en effet depuis plusieurs mois une politique de taux négatifs, autorisant les Etats-membres à lui rembourser moins d'argent qu'ils ne lui en doivent. Pour en savoir plus, je suis allé interviewer Grégoire Cayeux, analyste financier chez BNP Paribas. "Très peu de gens maîtrisent le sujet" des taux négatifs, m'affirme t-il.

La banque centrale européenne, à Francfort
"La BCE mène une politique de taux négatifs depuis quelques mois, que l'on peut assimiler à une forme d'allègement quantitatif. Le Japon a fait la même chose il y a dix ans", m'explique-t-il. La dette japonaise s'élève aujourd'hui à 246,6% du PIB, soit la plus élevée au monde.
"Sans déflation, les Etats-Unis risquent de faire la même chose d'ici peu", m'affirme Grégoire Cayeux. "La mondialisation a entraîné une forme de concurrence à l'échelle globale. Par effet mécanique, les prix ont chuté. La mondialisation a eu un effet déflationniste extra-ordinaire", explique-t-il. "Pour recruter des informaticiens, BNP Paribas a aujourd'hui recours à de nombreux sous-traitants au Portugal, ou même en Inde", ajoute-t-il.
"La crise de 1929 a notamment entraîné une déflation importante. Après la crise de 2008, Mario Draghi (ancien patron italien de la BCE et ancien vice-président de la branche Europe de Goldman Sachs) a mené une politique d'assouplissement quantitatif en baissant les taux d'intérêt. Donc les gens investissent, empruntent et consomment. Mais la BCE est aujourd'hui en train de pousser cette logique jusqu'à créer des taux négatifs".
Selon Grégoire Cayeux, le résultat de cette politique est que "les banques ne veulent plus de dépôts. Les banques italiennes, espagnoles et suisses vont commencer à faire payer à leurs clients les dépôts importants d'argent liquide". Les banques allemandes envisageraient même d'aller encore plus loin. La Volksbank Raiffeisenbank a en effet décidé de taxer les dépôts dès le premier centime d'euro versé.
"En Suède, ils ont poussé le vice jusqu'à autoriser des prêts immobiliers à taux négatif", ajoute-t-il. "D'un autre côté, les banques empruntent à des taux négatifs auprès de la BCE. Les fonds de pension se mettent également à acheter à taux négatif". Selon lui, il est peu probable que cette situation entraîne l'apparition d'une bulle financière du type crise des subprimes. "Les subprimes étaient des prêts de mauvaise qualité", explique-t-il. Grégoire Cayeux juge néanmoins le fait que les Etats empruntent à la BCE à des taux négatifs "hallucinant".
"Certains pensent même que les taux vont continuer à baisser", craint-il. "A la BCE, ils sont complètement barges. Ils sont assez fous pour prêter à la Grèce ou à l'Italie à taux négatif. C'est un monde nouveau". Selon lui, "les banques centrales se substituent aux investisseurs pour acheter la dette des Etats, hyperendettés". La dette française vient récemment de passer à 100,4% du PIB.
Résultat possible de cette politique risquée : "Si jamais il y a un krach obligataire ou si les taux remontent brusquement, la BCE risque de réaliser des pertes comptables importantes. Ses fonds propres seront insuffisants. Même chose pour la FED, mais on ne sait pas exactement puisque ce sont les seuls à créer de la monnaie". Pour Grégoire Cayeux, "la réserve fédérale des Etats-Unis réalise une forme de planche à billets". "Les journaux te pondent des pages sur des trucs anodins mais pour parler de ces sujets, il n'y a plus personne. Les experts disent 'pas d'inquiétude' mais en fait, qu'est-ce qu'ils en savent ? Les taux négatifs, c'est un peu de la magie. Les entreprises et les particuliers ne se sont jamais autant endettés", déplore-t-il.
Selon lui, cette situation économique est néanmoins différente de celle qui a précédé la crise de 1929. "La crise de 1929 était une crise de sur-capacité. Le risque aujourd'hui, ce sont les opérations de share buyback menées aux Etats-Unis. Elles consistent pour les entreprises à racheter leurs propres actions et à les détruire. Résultat : le prix des actions augmente, donc les actionnaires sont contents. L'Europe commence à le faire. Donc il y a un risque de création de bulle à cause de la baisse du nombre d'actions". Un autre problème économique, selon lui, est qu'il y a "beaucoup trop de grandes banques. Il y a en a 20 en Espagne, où les fusions entre banques sont quasiment impossibles".
Sur les taux d'intérêts, il craint que "un jour, les taux remontent et les Etats soient pris à la gorge, ils ne pourront pas rembourser". Selon lui, les politiques économiques liées à la dette publique doivent être soumises à "une liberté très surveillée". "Au lieu de mettre en place ces taux négatifs, la BCE pourrait juste éponger une partie des dettes des Etats. Comme ça, les Etats pourraient baisser les impôts et faire plus de social". Il craint une "japanisation de l'économie européenne". Selon lui, la remontée des taux, si elle a lieu, doit "être lente et progressive pour revenir doucement à zéro". "Il faudrait un allègement hélicoptère, mais ça serait très risqué. La véritable clé, c'est la confiance".
Lucien Petit-Felici

La banque centrale européenne, à Francfort
"La BCE mène une politique de taux négatifs depuis quelques mois, que l'on peut assimiler à une forme d'allègement quantitatif. Le Japon a fait la même chose il y a dix ans", m'explique-t-il. La dette japonaise s'élève aujourd'hui à 246,6% du PIB, soit la plus élevée au monde.
"Sans déflation, les Etats-Unis risquent de faire la même chose d'ici peu", m'affirme Grégoire Cayeux. "La mondialisation a entraîné une forme de concurrence à l'échelle globale. Par effet mécanique, les prix ont chuté. La mondialisation a eu un effet déflationniste extra-ordinaire", explique-t-il. "Pour recruter des informaticiens, BNP Paribas a aujourd'hui recours à de nombreux sous-traitants au Portugal, ou même en Inde", ajoute-t-il.
"La crise de 1929 a notamment entraîné une déflation importante. Après la crise de 2008, Mario Draghi (ancien patron italien de la BCE et ancien vice-président de la branche Europe de Goldman Sachs) a mené une politique d'assouplissement quantitatif en baissant les taux d'intérêt. Donc les gens investissent, empruntent et consomment. Mais la BCE est aujourd'hui en train de pousser cette logique jusqu'à créer des taux négatifs".
Selon Grégoire Cayeux, le résultat de cette politique est que "les banques ne veulent plus de dépôts. Les banques italiennes, espagnoles et suisses vont commencer à faire payer à leurs clients les dépôts importants d'argent liquide". Les banques allemandes envisageraient même d'aller encore plus loin. La Volksbank Raiffeisenbank a en effet décidé de taxer les dépôts dès le premier centime d'euro versé.
"En Suède, ils ont poussé le vice jusqu'à autoriser des prêts immobiliers à taux négatif", ajoute-t-il. "D'un autre côté, les banques empruntent à des taux négatifs auprès de la BCE. Les fonds de pension se mettent également à acheter à taux négatif". Selon lui, il est peu probable que cette situation entraîne l'apparition d'une bulle financière du type crise des subprimes. "Les subprimes étaient des prêts de mauvaise qualité", explique-t-il. Grégoire Cayeux juge néanmoins le fait que les Etats empruntent à la BCE à des taux négatifs "hallucinant".
"Certains pensent même que les taux vont continuer à baisser", craint-il. "A la BCE, ils sont complètement barges. Ils sont assez fous pour prêter à la Grèce ou à l'Italie à taux négatif. C'est un monde nouveau". Selon lui, "les banques centrales se substituent aux investisseurs pour acheter la dette des Etats, hyperendettés". La dette française vient récemment de passer à 100,4% du PIB.
Résultat possible de cette politique risquée : "Si jamais il y a un krach obligataire ou si les taux remontent brusquement, la BCE risque de réaliser des pertes comptables importantes. Ses fonds propres seront insuffisants. Même chose pour la FED, mais on ne sait pas exactement puisque ce sont les seuls à créer de la monnaie". Pour Grégoire Cayeux, "la réserve fédérale des Etats-Unis réalise une forme de planche à billets". "Les journaux te pondent des pages sur des trucs anodins mais pour parler de ces sujets, il n'y a plus personne. Les experts disent 'pas d'inquiétude' mais en fait, qu'est-ce qu'ils en savent ? Les taux négatifs, c'est un peu de la magie. Les entreprises et les particuliers ne se sont jamais autant endettés", déplore-t-il.
Selon lui, cette situation économique est néanmoins différente de celle qui a précédé la crise de 1929. "La crise de 1929 était une crise de sur-capacité. Le risque aujourd'hui, ce sont les opérations de share buyback menées aux Etats-Unis. Elles consistent pour les entreprises à racheter leurs propres actions et à les détruire. Résultat : le prix des actions augmente, donc les actionnaires sont contents. L'Europe commence à le faire. Donc il y a un risque de création de bulle à cause de la baisse du nombre d'actions". Un autre problème économique, selon lui, est qu'il y a "beaucoup trop de grandes banques. Il y a en a 20 en Espagne, où les fusions entre banques sont quasiment impossibles".
Sur les taux d'intérêts, il craint que "un jour, les taux remontent et les Etats soient pris à la gorge, ils ne pourront pas rembourser". Selon lui, les politiques économiques liées à la dette publique doivent être soumises à "une liberté très surveillée". "Au lieu de mettre en place ces taux négatifs, la BCE pourrait juste éponger une partie des dettes des Etats. Comme ça, les Etats pourraient baisser les impôts et faire plus de social". Il craint une "japanisation de l'économie européenne". Selon lui, la remontée des taux, si elle a lieu, doit "être lente et progressive pour revenir doucement à zéro". "Il faudrait un allègement hélicoptère, mais ça serait très risqué. La véritable clé, c'est la confiance".
Lucien Petit-Felici
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