Trump et l'Iran, la stratégie du fou

Le 8 mai 2018, le président des Etats-Unis Donald Trump a annoncé au monde qu'il retirait son pays de l'accord sur le nucléaire iranien, signé à Vienne le 14 juillet 2015 par les ministres des affaires étrangères des Etats-Unis, de l'Iran, de la France, de la Chine, de la Russie, de l'Allemagne, du Royaume-Uni et de l'Union européenne. Ce document constituait sans doute l'une des plus grandes avancées pour la paix mondiale de ces dernières années. 

L'accord prévoyait une levée des sanctions économiques pesant sur la République islamique, en échange d'un abandon par cette dernière de son programme nucléaire. Durant sa campagne de 2016, Donald Trump avait annoncé qu'il quitterait cet accord, jugé trop peu contraignant, s'il était élu. Une fois de plus, le président des Etats-Unis a tenu sa promesse.

L'accord de Vienne correspondait à un changement de politique de la part des Etats-Unis. En effet, la diplomatie américaine considérait jusqu'en 2015 que les sanctions économiques pouvaient être une alternative à la guerre afin de renverser un régime hostile. Mais cette stratégie est contre-productive. Les nord-coréens, cubains ou vénézuéliens n'éprouvent que ressentiment et haine pour un pays qui les affame, les prive de médicaments ou de biens de première nécessité. Les sanctions économiques n'apportent aux peuples que de la misère, et ont pour effet de transformer les Etats en citadelles assiégées, farouchement anti-américaines.

Barack Obama avait pris acte de l'échec d'une telle politique, et a opté pour une stratégie d'ouverture et d'apaisement. En effet, Obama a compris que c'est l'ouverture aux capitaux et aux investissements qui favorise l'émergence du libéralisme politique, notamment en permettant l'apparition d'une classe moyenne avide de modernité (comme en Chine). Les sanctions économiques ne sont qu'une source de frustration et de crispation nationaliste, qui conduit nécessairement à accentuer le caractère autoritaire et hostile des régimes visés.

Ainsi, Barack Obama a rétabli des relations diplomatiques avec Cuba et dans la même logique, a proposé un accord avec l'Iran afin de parvenir à un désarmement. Mais l'arrivée de Trump au pouvoir a bouleversé la donne. Le nouveau président des Etats-Unis, outre une volonté de défaire le travail de son prédécesseur, ne partage pas la même vision de la politique étrangère et de la diplomatie.


Donald Trump ne croit pas à la théorie de l'apaisement, mais à la théorie du fou. Cette tactique a été popularisée par le président Richard Nixon lors de la guerre du Vietnam. Elle consiste à paraître le plus dangereux, impulsif et agressif possible face à son adversaire, afin de l'effrayer et de l'amener à négocier. Ainsi, le diplomate nord-vietnamien Le Duc Tho révélera que Nixon le menaça a plusieurs reprises d'utiliser la bombe nucléaire au Vietnam. Mais le bluff n'a pas pris, et les vietnamiens ont finalement eu raison de l'armée la plus puissante du monde.

Cette stratégie du fou a également été employée par l'administration américaine vis-à-vis du régime nord-coréen. Le président des Etats-Unis n'a eu de cesse de menacer la Corée du Nord de "destruction", de "feu" et de "fureur", évoquant même piteusement son bouton nucléaire "beaucoup plus gros et plus puissant" que celui de Kim-Jong-Un. Cette atmosphère de Guerre froide paraît aujourd'hui bien loin, alors que les relations entre Corée du Nord et du Sud prennent le chemin de la paix, et que Trump s'apprête à rencontrer le leader de la RPDC.

Je ne crois pas une seule seconde que les menaces d'apocalypse de Trump soient responsables de cette situation de désescalade. Je pense que l'Histoire remerciera le président sud-coréen Moon Jae-in, issu du centre-gauche pacifiste, qui a initié cette dynamique vertueuse en invitant une délégation nord-coréenne aux Jeux Olympiques d'hiver de Pyeongchang.

L'Iran, à l'instar de la Corée du Nord, ne rejoindra le concert des nations que par la diplomatie, le respect mutuel et le commerce, non par la force et la menace de destruction. Or, Donald Trump mène depuis son élection une politique résolument anti-iranienne. Il était même allé jusqu'à placer le pays sur le très controversé "Muslim ban" en janvier 2017. Suite au départ de son secrétaire d'état Rex Tillerson, plutôt conciliant avec l'Iran et la Russie, Donald Trump s'est entouré d'une équipe de faucons néo-conservateurs. Parmi eux, le nouveau conseiller à la sécurité nationale John Bolton.

Une lecture rapide de la page wikipedia de Bolton montre que la paix est une valeur qui lui est antinomique. Signataire à l'âge de dix-huit ans d'une pétition sobrement intitulée "pas de paix au Vietnam", membre de l'USAID sous l'administration Reagan, signataire du Project for the New American Century, ambassadeur aux Nations-Unies sous George W Bush, farouche partisan du renversement de Saddam Hussein et du concept de guerre préventive, proche de l'extrême-droite néo-conservatrice, auteur d'un éditorial paru dans le New York Times titré "bombardez l'Iran". Pour ce genre de sinistre personnage, la paix et le droit international ne sont que des vues de l'esprit. Seule compte la force.

Ajoutons à cela la nomination de Mike Pompeo, qui s'était déclaré favorable à la mort d'Edward Snowden et à l'espionnage des chefs d'état étranger, à la tête du département d'état. Pompeo expliquait en octobre 2017 vouloir une CIA plus "agressive, brutale, impitoyable, implacable", si tant est que cela soit possible. Selon Julian Assange, ces nominations pourraient constituer un prélude à une guerre contre l'Iran, ce que John Bolton dément formellement.

Mais force est de constater que Trump semble avoir une dent contre l'Iran. Dans un discours délirant, il a qualifié ce pays de pourvoyeur du terrorisme international et a accusé le régime des mollahs d'avoir tué "des milliers d'américains". Peut-être a-t-il confondu l'Iran avec l'Arabie saoudite, qui n'est inquiétée par aucune sanction.

Cette offensive contre la République islamique d'Iran s'explique par le retour fulgurant de ce pays sur la scène internationale, suite à la levée des sanctions. Entre 2015 et 2018, l'Iran a connu des taux de croissance de 12,5% par an, a renforcé son influence en Syrie, en Irak et au Yémen, a dégagé d'immenses revenus grâce à l'exportation de pétrole et a conclu de nombreux contrats avec des entreprises chinoises ou européennes (Airbus, Total, Renault). Le 5 mars 2018, le ministre français des affaires étrangères Jean-Yves le Drian a rencontré son homologue iranien Mohammad Javad Zarif. Les deux hommes ont inauguré une exposition intitulée "le Louvre à Téhéran", comportant de nombreuses œuvres du célèbre musée parisien. Un musée vaut mieux que toutes les sanctions, toutes les intimidations et toutes les menaces du monde.

Suite à l'annonce du retrait des Etats-Unis, l'Iran a laissé entendre qu'il pourrait reprendre son programme nucléaire militaire. Un ministre saoudien a alors déclaré que son pays se doterait de l'arme atomique si le régime des ayatollahs en faisait de même. L'idée d'une prolifération nucléaire au Moyen-Orient fait froid dans le dos. Cependant, le président iranien Hassan Rohani a ouvert la porte à un maintien de l'accord avec les autres pays signataires.

L'économie, l'art, la culture, le respect pour une civilisation pluri-millénaire et la diplomatie. Voilà ce qui conduira à une paix durable avec l'Iran. Les néo-conservateurs n'ont a offrir au monde que de la souffrance. Gageons que l'Europe, l'Iran et la Chine puissent tenir tête à une administration guerrière et, ainsi, donner sa chance à la paix.

Lucien Petit-Felici

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