Escadrons de la mort et amnésie historique en Colombie

Le 13 mars 2018, des élections législatives ont eu lieu en Colombie. Ces élections ont été marquées par la défaite cuisante des FARC (Forces Armées Révolutionnaires Colombiennes), qui n'ont obtenu que 0,04 % des suffrages exprimés.

Ce parti politique est l'héritier du groupe d'inspiration marxiste et bolivarienne du même nom, après que ce dernier ait renoncé à la lutte armée en 2016, mettant fin à une lutte de plus de cinquante ans contre le pouvoir colombien.

Les élections du 13 mars ont été marquées par la victoire des héritiers politiques d'Alvaro Uribe. Ce dernier, président de la Colombie de 2002 à 2010, farouche opposant aux FARC et au Venezuela, s'était déclaré opposé à l'accord de paix mettant fin au conflit entre le gouvernement et la guérilla d'extrême-gauche. Cet accord de paix, soumis à référendum, avait d'ailleurs été rejeté par la population colombienne. Cette situation illustre bien la profonde détestation des FARC par l'opinion publique du pays.

Les FARC, classés comme une organisation terroriste par les Etats-Unis, le Canada et l'Union Européenne, ont en effet acquis une sinistre réputation, due au racket et au trafic de drogue dont ils se sont rendus coupables durant la guerre civile colombienne.

L'enlèvement d'Ingrid Betancourt, retenue en otage dans la jungle amazonienne pendant plus de six ans, avait également choqué l'opinion française et occidentale.

Cependant, si les FARC ont acquis une réputation de criminels et de terroristes, leurs méfaits font pâle figure à côté de ceux commis ou couverts par les partisans d'Uribe. En effet, selon l'ONU, sur les 200 000 civils assassinés durant la guerre civile colombienne, 12% l'ont été par les guérilleros. 8% des civils ont été tués par l'armée régulière colombienne, et 80% par des paramilitaires d'extrême-droite, financés, armés et couverts par le gouvernement colombien.

Le plus tristement célèbre de ces groupes est l'AUC (Autodéfense Unies de Colombie). Cet escadron de la mort, crée à l'initiative de l'armée colombienne, de propriétaires terriens et de cartels de drogue, s'est rendu coupable à lui seul de la mort de 150 000 civils. Ce chiffre représente plus de 30 fois le nombre de morts sous Pinochet, trois fois celui de la dictature militaire argentine.

Cet escadron de la mort, recourant au narcotrafic pour se financer, fut lui-même classé comme terroriste par les Etats-Unis, pourtant bailleurs de fonds du pouvoir colombien.



    Les cruels membres des AUC, en Colombie


L'AUC fut pensé comme une unité de contre-insurrection, dont le but était de terroriser les habitants des régions indigènes et paysannes, plutôt favorables aux FARC. Ils eurent pour cela recours à la torture et au massacre de villages entiers. Leur méthode de prédilection, considérée comme leur "signature", était de démembrer leurs victimes à la tronçonneuse.

Lors du massacre de San José de Apartado, en 2005, des femmes et des enfants furent étranglés, égorgés ou découpés à la machette. Des fours crématoires étaient parfois utilisés pour faire disparaître les corps.

Enrichi par le trafic de cocaïne, l'AUC le fut également par des entreprises privées. Parmi elles, l'inénarrable United Fruit, qui fut condamnée en 2007 par la justice américaine à une amende de 25 millions de dollars pour avoir financé et armé l'AUC, alors même que le groupe était placé sur la liste des organisations terroristes. United Fruit prétendit avoir payé les paramilitaires pour protéger ses usines, mais le ministre de la justice d'Alvaro Uribe démentit et déclara que les dirigeants de la multinationale "ne les payaient pas pour la sécurité, mais pour le sang". Coca-Cola eut également recours aux services de ces mercenaires pour éliminer des syndicalistes de ses usines colombiennes.


 Notez la croix gammée tatouée sur la main de ce combattant


L'AUC s'illustra également par plusieurs tentatives de déstabilisation du gouvernement d'Hugo Chavez, au Venezuela voisin.

Plusieurs articles de presse mirent en évidence la compromission d'Alvaro Uribe, alors président de la Colombie, avec cet escadron de la mort. Ces révélations, connues sous le nom de "scandale de la parapolitique", fragilisèrent les AUC. Le groupe finit par être désarmé par le gouvernement et éclata en une multitude de factions mafieuses après 2006.

Tous ces crimes sont largement méconnus en Occident, et semblent rétrospectivement pardonnés par la population colombienne, comme l'illustrent les résultats des élections.

La question des AUC pousse à nous interroger sur l'hypocrisie de la politique étrangère occidentale. En effet, ces exactions n'ont pas eu lieu dans une époque reculée, mais au début des années 2000 et sont encore aujourd'hui passées sous silence.

Le réalisateur américain Oliver Stone comparait les FARC à une armée de paysans, semblable à celle d'Emiliano Zapata ou de Pancho Villa durant la révolution mexicaine (1910-1920), tout en condamnant les  kidnappings. Cependant, les guérilleros ont été et sont encore détestés par les opinions publiques mondiales. L'indignation de nos gouvernants semble très sélective.

Lucien Petit-Felici

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

La mairie de Paris vole au secours de l'Afghanistan

L’héritage d’Edmund Burke dans la pensée politique française

Taux négatifs : les banques sont-elles devenues folles ?